Affaire 1 Requête (fin septembre 2020)



 Gérard Dahan

+ adresse

À Grenoble, le 15 septembre 2020

M. le Président
Mmes et MM. les conseillers composant le Tribunal administratif de Grenoble

Objet : Recours pour excès de pouvoir dirigé contre les statuts du Service des Langues de l’Université Grenoble Alpes

1. Je soussigné, Gérard Dahan, demeurant [quelque part dans le département], ai l’honneur, par la présente, de saisir votre tribunal de la question de la légalité des statuts du Service des Langues (ci-après : « les Statuts ») de l’Université Grenoble Alpes (ci-après : « UGA »). Ce service est la composante de l’université à laquelle est rattaché mon poste d’enseignant titulaire (professeur agrégé d’anglais).

FAITS ET PROCÉDURE

2. Les Statuts élaborés en concertation avec les personnels puis adoptés formellement par une décision du Conseil d’administration de l’UGA en date du 16 juillet dernier (n° 7-D.16.07.2020 point 5.3), publiée et transmise au rectorat le 28 juillet 2020, sont rédigés en écriture inclusive et non en français (PJ n4 : acte attaqué : Délibération et Statuts). Ces Statuts, qui régissent mon lieu et mes modalités de travail, doivent être écrits en français ; or, ils sont rédigés dans ce que l’écrivain George Orwell a identifié et décrit il y a plus de soixante-dix ans sous le nom de « novlangue ». Il sera démontré ici que cette novlangue n’est pas du français.

3. Je pense avoir intérêt à agir, en tant qu’agent de l’État, car les Statuts régissent directement mon lieu et mes modalités de travail, et en conséquence la manière dont je peux ou dois m’exprimer professionnellement. Je vais donc présenter ici une argumentation au terme de laquelle je serai amené à requérir l’annulation de ces Statuts, de telle sorte que l’UGA n’ait d’autre choix que d’en produire une version, seule valable, rédigée en français, la langue de notre nation depuis l’ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite « ordonnance de Villers-Cotterêts ». Je voudrais en appeler au motif qui a conduit François Ier à proclamer ladite ordonnance : la nécessité que soient intelligibles les textes juridiques et réglementaires, au moins eux, afin d’assurer la cohésion nationale.

4. Le moins que l’on puisse dire en préalable à propos d’intelligibilité et de cohésion nationale est que l’usage de l’écriture inclusive ne fait pas l’unanimité dans le pays. Sa lisibilité est remise en cause par les meilleurs spécialistes. Danièle Manesse, par exemple, professeure émérite de sciences du langage à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris III, auteur avec Gilles Sioufi de l’ouvrage Le Féminin et le Masculin dans la langue. L’écriture inclusive en question (Paris, ESF sciences humaines, 2019), remet en cause à la fois son intelligibilité et sa contribution au progrès social.

Pour elle, l’écriture inclusive « fait partie de ces dispositifs volontaristes, ostentatoires, qui ne servent pas les causes qu’ils prétendent défendre. La preuve la plus simple en serait que ses différentes formes perdurent rarement plus de dix lignes dans un texte, à moins de compromettre définitivement sa lisibilité ». Elle ajoute : « rendre les langues coupables de solidarités avec des volontés idéologiques est un raccourci trop facile ». Elle ajoute encore, sur les aspects politiques du débat que : « À gauche, les avis sont en fait très partagés. Le présumé enthousiasme relève souvent du conformisme et de la crainte d’être suspecté de machisme. On peut être irrévocablement féministe — cest mon cas — et absolument rétive à l’écriture inclusive. » (Le Monde, entretien publié le 29 mai 2019.)

5. Pour ce qui me concerne, j’adhère bien évidemment totalement à l’égalité entre les hommes et les femmes. Je suis fier d’avoir promu concrètement cet idéal en travaillant pendant presque toute une carrière dans le domaine des lettres et sciences humaines de l’Université, très féminisé et qui, quoiqu’en disent les sociologues bourdieusiens, permet à beaucoup de jeunes femmes issues de milieux modestes d’avoir accès à une promotion sociale réelle, particulièrement à travers les métiers de l’enseignement et de la communication. Ceci dans un contexte qui dans l’ensemble des pays comparables au nôtre voit les femmes rattraper et très souvent dépasser les hommes sur le plan éducatif. Mais comme ma collègue Danièle Manesse, même sans avoir son autorité, je suis absolument rétif à l’écriture inclusive, que je considère comme un parasite de la langue.

6. Cela dit, en droit français, la loi n’a pas vocation à protéger les dogmes et les symboles, mais les individus et la nation incarnée par l’État. Les deux paragraphes qui suivent détaillent ce qui constitue selon moi une atteinte à ma liberté d’expression. On trouvera plus bas des explications sur la menace que présente l’écriture inclusive envers la langue française et donc envers la cohésion nationale.

7. J’ai pris conscience du fait que mes droits étaient menacés en écoutant les arguments développés au Canada par le professeur Jordan Peterson à l’encontre de la loi fédérale canadienne référencée sous l’appellation C16. Jordan Peterson, professeur de psychologie très connu des personnes intéressées par l’actualité des campus des pays anglophones, fait face à pire que moi : non pas une pratique sournoise inique, mais une loi inique. Il est en effet obligé par la loi d’utiliser en s’adressant à ses étudiants dits « non binaires » les modes d’adresse et les pronoms nouveaux, ni masculins ni féminins, que ces étudiants veulent voir utilisés. Je ne rentre pas dans les détails propres à la langue anglaise, car il me semble plus efficace devant le Tribunal de signaler que le phénomène des pronoms non binaires atteint également la francophonie : on peut voir dans certains textes militants des formes telles que « iels », « toustes » et « ceulles », imaginées pour compléter respectivement « ils / elles », « tous / toutes » et « ceux / celles ». Face à l’obligation qui lui est faite d’utiliser ces nouveaux mots, l’analyse de Jordan Peterson est la suivante : la loi canadienne, en prétendant imposer l’usage de ces pronoms sous peine de poursuites pour discrimination, porte atteinte au principe fondamental de la liberté d’expression, et donc à sa propre liberté d’expression. Il s’agit d’une atteinte un peu particulière à la liberté d’expression, l’obligation faire à l’individu qu’il est de tenir un « discours obligé » (compelled speech) au lieu de l’obligation de ne pas tenir certains « discours interdits » (forbidden speech), mais cette particularité ne la rend pas plus acceptable.

8. Je présente au Tribunal, pour ce qui me concerne en tant que citoyen et en tant qu’agent de l’État, une analyse similaire à celle du professeur Peterson. En effet, comme nombre de mes collègues, je suis amené à rédiger des textes informatifs qui sont publiés sur le site Web de l’UGA : description des enseignements, exposé des modalités d’examens, description des certifications en langue... La présidence de l’université ou la direction de mon service peut tout à fait (essayer de) me contraindre au nom d’une politique d’établissement à rédiger ces textes en écriture inclusive, et aller jusqu’à m’accuser de discrimination si je refuse de le faire, en s’appuyant sur les Statuts qui, en quelque sorte, « donnent l’exemple ». Je n’imagine pas ici des choses improbables : c’est la position dans laquelle s’est retrouvée la responsable administrative chargée in fine de rédiger la version des statuts qui après concertation a été présentée au Conseil d’administration de l’UGA le 16 juillet dernier. Elle n’a pas eu d’autre choix que de suivre la politique de l’établissement qui lui a imposé l’usage de l’écriture inclusive. Elle n’en a pas pris ombrage, elle, mais moi, si. Je refuse que cette politique s’applique à moi, ce qui ne saurait tarder en vertu des Statuts.

DISCUSSION

9. Pour demander au Tribunal l’annulation des statuts du Service des Langues de l’UGA, j’appuie ma requête sur l’article 2 de la constitution, premier alinéa : « La langue de la République est le français », sur deux articles de l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui sont encore source de droit en 2020, sur les principes constitutionnels d’égalité et d’intelligibilité de la norme, ainsi que sur une circulaire du 21 novembre 2017.

Premier moyen – « La langue de la République est le français ».

10. Je ne suis pas seul à voir dans l’usage de l’écriture inclusive dans des textes rédigés par l’administration au nom de la République l’usage d’une novlangue qui n’est pas le français et crée une menace « orwellienne ». Dans une chronique du 26 septembre 2017 souvent reprise dans le débat national sur l’écriture inclusive, le philosophe Raphaël Enthoven a comparé l’écriture inclusive à la novlangue du roman 1984 de George Orwell, ajoutant « l’écriture inclusive est une agression de la syntaxe par l’égalitarisme, un peu comme une lacération de la Joconde, mais avec un couteau issu du commerce équitable. » On sait que dans son roman George Orwell met en scène une transformation de la langue (anglaise en l’occurrence) par le parti unique, au nom soi-disant de la paix, de l’égalité et de la justice sociale, en fait au service de ses objectifs de contrôle.

11. D’autres auteurs sont sensibles aux effets de la manipulation de la langue par des groupes de pouvoir, tel Philip K. Dick, dans un discours de 1978, Comment construire un univers qui ne s’effondre pas deux jours plus tard « L’outil de base pour manipuler la réalité est la manipulation des mots. Si l’on est capable de contrôler le sens des mots, on est capable de contrôler les gens qui ont à s’en servir. » Dans le champ scientifique, l’idée selon laquelle la structure de la langue façonne la pensée des locuteurs de cette langue s’appelle hypothèse de Sapir-Whorf, car elle a été formulée puis étendue par l’anthropologue américain Edward Sapir et son élève, Benjamin Lee Whorf. Les partisans comme les adversaires de l’écriture inclusive ont en commun qu’ils pensent que cette hypothèse est crédible.

12. L’alinéa 1er de l’article 2 de notre Constitution n’énonce pas une simple évidence. Il est utile, il est fondamental de rappeler que « la langue de la République est le français », pour beaucoup de raisons, mais aussi, pour ce qui nous concerne ici, parce qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’une novlangue autre que le français soit au service de la République et de ses valeurs. Il est utile, il est fondamental de faire respecter cet article 2 de notre Constitution : il convient ainsi d’exclure toute novlangue des textes juridiques et réglementaires produits par les administrations de cette même République.

13. D’un point de vue juridique, pour que le Tribunal puisse affirmer sans aucun doute possible que les Statuts ne respectent pas l’alinéa 1er de l’article 2 de notre constitution, et sont donc illégaux, il faut qu’il soit convaincu que l’écriture inclusive n’est pas une nouvelle manière d’écrire le français, mais que cette novlangue n’est pas « du français ». C’est l’enjeu de la démonstration qui commence ici. Il ne s’agit pas pour moi de dire que l’écriture inclusive constitue une langue complète, autonome ou en voie de le devenir, autre que le français. Elle n’est ni un sabir, ni un pidgin ni un créole, mais bien une novlangue, c’est-à-dire que tout comme la novlangue décrite par George Orwell dans son roman 1984, elle est objectivement, sans même que ce terme soit péjoratif, un parasite étranger à la langue à laquelle elle se fixe. Et un parasite invasif, tout comme celui que décrit George Orwell, autrement dit susceptible à terme, si on le laisse se développer, de dénaturer profondément la langue hôte en entraînant des évolutions aberrantes motivées non par le principe constitutionnel d’égalité mais par une idéologie égalitariste hors sol. Je m’explique : lorsqu’on regarde un chêne, on voit de l’écorce, des feuilles et parfois du gui. L’écorce est partie intégrante du chêne qu’elle recouvre, les feuilles sont partie intégrante du chêne dont elles régulent la photosynthèse, le gui n’est pas partie intégrante chêne qu’il parasite. Le gui — nous dit Wikipedia dans l’article éponyme — « est une espèce de plantes parasites (hémiparasite), qui ne possède pas de racines mais se fixe sur un arbre hôte dont elle absorbe la sève à travers un ou des suçoirs. » De même le point médian, celui dont l’usage est unanimement jugé le plus intolérable par les adversaires les plus divers de l’écriture inclusive, dans des formulations telles que celle qu’on trouve dans les Statuts : « enseignant.e.s chercheurs.euses » ou, avec la graphie la plus exacte possible, non reproduite telle quelle dans les statuts par manque de connaissances en typographie, « enseignantes chercheurseuses » — ce point médian, donc, est un signe étranger à la langue, jamais utilisé auparavant, à proprement parler un parasite qui se fixe sur la langue hôte (ceci est vrai aussi pour d’autres langues que le français) quand celle-ci a des formes écrites différentes pour le masculin et le féminin.

14. Il arrive certes que des parasites vivent en symbiose heureuse avec l’organisme hôte et lui soient d’une grande utilité. C’est le cas, on le sait, des bactéries qui constituent notre flore intestinale. Mais ce point médian parasite, qui ne relève d’aucune tradition dans aucune langue écrite en caractères latins et dont la nouveauté radicale est même revendiquée par les théoriciens de l’écriture, est pour le moins aussi inutile au français que le gui l’est au chêne. En effet, l’inclusion est déjà prévue dans la langue française, et prend normalement une forme simple : à l’oral comme à l’écrit on peut utiliser simultanément la forme masculine et la forme féminine : « celles et ceux »« Françaises, Français »« les électeurs et les électrices », ainsi que des mots épicènes : « les personnes »« Françaises, Français, mes chers compatriotes »« les suffrages ». À l’écrit, il existe déjà des signes de ponctuation dont l’usage est reconnu par la tradition et qui servent habituellement à raccourcir une formulation orale afin de ne pas la transcrire entièrement. Si on trouve trop long, en français, d’écrire « enseignants chercheurs et enseignantes chercheuses », on écrira par exemple « enseignant(e)s chercheurs/euses ». Et — point tout aussi utile que les précédents pour démontrer que l’écriture inclusive rompt radicalement avec l’usage de la langue française et n’est donc pas du français — on ne répétera pas systématiquement les formulations ainsi abrégées ! En français écrit et oral, la reconnaissance de l’égalité du masculin et du féminin, une fois exprimée, est considérée comme acquise pour un certain temps ou sur une certaine longueur de texte. Cette longueur est parfois conséquente, tout comme, dans la présente requête, l’Université Grenoble Alpes est devenue « ci-après “UGA” » et là où nous en sommes arrivés dans le texte la convention vaut encore.

15. La démonstration précédente éclaire le Tribunal sur les avis exprimés publiquement par les plus hautes autorités nationales et internationales qui régissent la langue française. Ainsi l’Académie Française, qui déclarait « devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel » (Pièce jointe n5), et l’Office québécois de la langue française, qui juge que « l’emploi des doublets abrégés est une option acceptable dans les contextes où l’espace est restreint ainsi que dans les écrits de style télégraphique. » L’Office privilégie alors « l’emploi des parenthèses ou des crochets » (Office québécois de la langue française, « Qu’est-ce qu’un doublet abrégé ? » sur Banque de dépannage linguistique (consulté le 12 septembre 2020 ; c’est moi qui souligne).

Deuxième moyen – l’article 110 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts et la jurisprudence constitutionnelle et administrative contemporaine : principe d’égalité et intelligibilité de tous les actes juridiques

16. Je cite l’article 110 de l’ordonnance : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et crits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ni lieu à demander interprétation. »

17. Cet article, on le voit, porte sur l’intelligibilité des textes juridiques (et assimilés). On a vu déjà, plus haut, ce que la linguiste Danièle Manesse, professeure émérite de sciences du langage à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris III, pense du peu de lisibilité de l’écriture inclusive. J’appuie aussi mon argumentation sur l’avis d’une autorité incontournable, et plus élevée : l’Académie Française. Celle-ci énonce, à propos de l’écriture inclusive, dans une déclaration du 26 octobre 2017 : « devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures. » (Pièce jointe n5, déjà citée).

18. Le but poursuivi par le texte de Villers-Cotterêts – l’intelligibilité des textes normatifs, essentielle en tant qu’élément constitutif de la nation française en construction – est complètement ignoré par l’écriture inclusive. L’idéal égalitaire absolu qu’elle semble poursuivre provoque en réalité une discrimination immédiate à l’encontre de nos concitoyens dyslexiques. Celle-ci a été signalée sur France Inter le 27 octobre 2017 par Françoise Nyssen, qui était à l’époque ministre de la Culture. Ainsi, les Statuts, en tant qu’ils peuvent avoir des lecteurs dyslexiques (6 à 8 % de la population, selon les chiffres disponibles), portent atteinte au principe constitutionnel d’égalité.

19. L’internet est rempli d’exemples satiriques tendant à montrer à quel point l’écriture inclusive est illisible, tant par les personnes dyslexiques que par celles qui ne le sont pas, mais plutôt que d’en citer ne serait-ce qu’un seul et faire appel à la caricature, je préfère en appeler à l’imagination du Tribunal : par delà les difficultés que rencontrent les usagers et agents de l’État comme moi à qui s’appliquent les documents administratifs rédigés en écriture inclusive, que serait le travail d’un juge contraint en 2030 non seulement d’interpréter certains de ces documents, mais aussi contraint de rédiger ses jugements en écriture inclusive ? Et cela parce qu’au début des années 2020, quand il était encore possible de l’arrêter, un tribunal pourtant saisi du problème a laissé cette pratique parasiter la langue administrative et juridique à partir des universités ?

20. Comme je le disais plus haut, la loi n’a pas vocation à protéger les dogmes et les symboles, mais les individus et la nation. La présente requête fournit au Tribunal l’occasion de protéger non seulement les justiciables mais aussi les magistrats, par extension toutes les personnes chargées de rédiger des textes à portée juridique, et par extension encore la nation elle-même, des abus induits par l’usage de l’écriture inclusive, qui rend tout texte peu intelligible.

21. Par deux décisions de principe du 16 décembre 1999 (99-421 DC), précisée par celle du 27 juillet 2006 (2006-540 DC), le Conseil constitutionnel a reconnu l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. À sa suite, le Conseil d’État a étendu l’objectif de clarté et d’intelligibilité de la norme à tous les actes administratifs, d’abord par une décision du 8 juillet 2005, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche publique SGEN-CFDT) puis dans un arrêt du 29 octobre 2013 – Association des amis de la rade et des calanques (n360085) par lequel il a censuré un décret sur ce fondement. Il en sera de même des Statuts, dont la simple lecture suffit à établir le caractère peu intelligible.

22. Dans les Statuts, on remarque en effet, au delà d’une lourdeur consternante et d’une rupture radicale avec le français, des incohérences flagrantes. Je souhaite mettre plus particulièrement en évidence l’une d’entre elles, portant sur la féminisation de la terminaison masculine –eur, dans des mots comme demandeur, directeur, chercheur. À l’article 2 alinéa d), les Statuts mentionnent « les demandeur.e.s d’emploi », à l’article 4 dans un sous-titre ils mentionnent « Le.la Directeur.trice », à la première ligne de l’article 6 ils mentionnent les « enseignant.e.s chercheurs.euses ». La féminisation de « directeur » est « directrice » : pas de surprise ici, la féminisation de « chercheur » est « chercheuse », pas de surprise non plus. Mais pourquoi donc la féminisation de « demandeur » devient-elle «demandeure» plutôt que «demandeuse»? Le rédacteur ou la rédactrice s’est perdu(e) en chemin.

23. Ceux d’entre nous qui sommes à l’aise avec le français écrit pouvons sans doute comprendre le sens quasi-immédiatement au prix d’un très petit effort d’adaptation, même fait dans la douleur esthétique. Mais qu’en est-il des dyslexiques ? Qu’en est-il des étudiants étrangers — le service en accueille un nombre significatif — qui pourraient envisager d’être candidats en tant que représentants étudiants au conseil ? Pour eux, l’effort ne sera sans doute pas négligeable. Qu’en est- il des enseignants de toutes nationalités qui voudront participer à la vie du service ? Il faut les prendre en considération. Le Service des Langues emploie en effet nombre d’enseignants et de lecteurs de langues en provenance du monde entier. Ils viennent à la fois enseigner leur langue et apprendre le français, par amour de la France, ils repartiront dans leurs pays avec une image peu flatteuse de la langue française dénaturée par un parasite qu’il est pourtant possible d’éradiquer.

24. Incohérence encore à l’article 8, alinéa 5. «Le quorum des membres présents ou représenté.e.s est constaté à l’ouverture de la séance. » Il aurait fallu écrire, en écriture inclusive cohérente : « Le quorum des membres présent.e.s ou représenté.e.s est constaté au début de la séance. » En effet, à quoi servirait ici l’écriture inclusive, sinon à rappeler avec insistance qu’une membre peut être présente, et une autre membre absente et représentée ?

25. Deux autres incohérences, à l’article 15, alinéa 2: «En cas de démission, départ, interruption définitive, absence ou indisponibilité prolongée constaté des activités du.de la Directeur.trice, un.e administrateur.trice provisoire est nommé.e par le Président de l’Université » Il aurait fallu écrire, en écriture inclusive cohérente : « En cas de démission, départ, interruption définitive, absence ou indisponibilité prolongée constatée des activités du.de la Directeur.trice, un.e administrateur.trice provisoire est nommé.e par le.la Président.e de l’université. » La première de ces deux incohérences mérite une explication. En français, on accorde le mot « constaté » au masculin, car il est possible de constater une démission, une interruption définitive, une absence, une indisponibilité prolongée, mais aussi un départ. En écriture inclusive, on considère que le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, on fait fonctionner l’accord de proximité et on écrit donc « constatée », ou encore « constatées », ou pourquoi pas « constaté.e », voire même « constaté.e.s ». La première forme (féminin singulier) crée une ambiguïté car on ne peut savoir si l’adjectif ainsi accordé se rapporte à cinq éléments, ou s’il ne se rapporte qu’à l’indisponibilité prolongée.

26. Les a-t-on vues immédiatement, ces incohérences des paragraphes 24 et 25 ? Ceux d’entre nous qui sommes à l’aise avec le français écrit les avons-nous repérées à la première lecture ? Si la réponse est négative, la démonstration est faite que même si l’illisibilité des Statuts n’est pas totale, elle est gênante, elle est discriminante. Et nous n’avons affaire ici qu’à une version peu aboutie de l’écriture inclusive. Qu’en sera-t-il, si le Tribunal ne stoppe pas cette folie, quand les rédacteurs des prochains textes réglementaires de l’UGA, ou des autres universités, ou des autres ministères, mettront des «iels», «toustes» et «ceulles», à la place des «ils / elles», «tous / toutes» et « ceux / celles » ?

Troisième moyen – L’article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts : la généralisation de la langue française

27. Je cite l’article 111 de l’ordonnance : « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »

28. Ce texte est pertinent pour l’examen de ma requête, non parce que le français est comme à l’époque menacé par le latin, mais parce qu’il est l’article... inclusif de l’ordonnance de Villers- Cotterêts et parce que, au contraire, l’écriture inclusive n’est pas inclusive, ainsi qu’il a été démontré au paragraphe 18 et n’est pas du français, ainsi qu’il a été démontré aux paragraphes 13 et 14.

29. L’ordonnance est inclusive en ce sens qu’elle s’efforce de faire la liste des documents auxquels elle s’applique en y incluant le plus de types de documents possible. Les statuts des composantes des universités ne sont évidemment pas mentionnés dans ce texte de 1539, mais on voit bien que la liste vise à l’exhaustivité. Je prétends donc que les statuts du Service des Langues de l’UGA doivent impérativement être rédigés en français, conformément à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, et que puisqu’en l’état ils ne sont pas rédigés en français mais en écriture inclusive, il y a là motif d’annulation.

Quatrième moyen : l’Université n’a pas respecté la circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française

30. Une circulaire est bien sûr très en retrait dans la hiérarchie des normes, surtout au regard des textes et principes de portée constitutionnelle cités plus haut, mais l’Université ne devait pas moins la respecter.

31. La circulaire du 21 novembre 2017, contrairement à ce que son titre indique, ne se limite pas à la rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française mais elle fait écho à l’ordonnance de Villers-Cotterêts et porte sur un ensemble beaucoup plus large de documents administratifs. Je la cite : « Dans les actes administratifs, vous veillerez à utiliser les règles suivantes [...] je vous invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, qui désigne les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. »

32. Saisi de la légalité de ce texte, le Conseil d’État a jugé le 28 février 2019 que la circulaire ne portait pas atteinte à l’égalité hommes-femmes et « n’[était] pas davantage de nature, eu égard à sa portée, à porter préjudice aux personnes que les requérantes qualifient de “genre non binaire” » (n417128).

PAR CES MOTIFS

Je demande au Tribunal :

1) d’annuler la délibération du conseil d’administration de l’Université Grenoble-Alpes du 16 juillet 2020 (n7-D.16.07.2020 point 5.3) par laquelle elle a adopté les statuts du Service des langues, ensemble lesdits statuts ;

2) d’ordonner la publication du jugement, notamment sur le site de l’Université Grenoble-Alpes et dans ses locaux ;

3) d’ordonner à l’Université la publication de nouveaux Statuts rédigés en français dans un délai de trois mois suivant la délivrance du jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4) en tant que de besoin de condamner l’Université aux frais d’expertise si celle-ci s’avère nécessaire.

Gérard Dahan

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