Quelques remarques

 

 

I.               Le but de ce blog est de fournir des ressources aux personnes qui seraient tentées de saisir les tribunaux pour contribuer à bouter l’écriture inclusive hors de France. À savoir avant tout : il faut pour s’adresser au tribunal être au bon endroit au bon moment. Un acte de l’administration peut être attaqué dans les deux mois suivant sa publication, par une personne qui a le droit d’agir. Si vous habitez dans une commune qui crée une rue Judith Butler, vous pourrez attaquer la décision. Si vous habitez la commune d’à côté, oubliez. Si vous travaillez dans le service qu’on vient de doter de nouveaux statuts, vous pourrez agir, si vous êtes dans le même établissement mais pas dans le même service, vous agirez une prochaine fois.

II.        Il faut bien comprendre aussi qu’au tribunal administratif la procédure est essentiellement écrite. Les audiences ne servent qu’à actualiser les écrits à la marge. Pour ce qui concerne la première affaire exposée sur ce blog, celle qui m’a occupé personnellement de septembre 2020 à mai 2023, la procédure s’est déroulé en plusieurs étapes : 1) Septembre 2020 : dépôt d’une requête pour faire annuler les statuts du Service des Langues de l’UGA en référé. 2) Septembre 2020 : réponse écrite de l’université. 3) Octobre ou novembre 2020 : audience en référé, puis délibération. Je perds, car je ne parviens à convaincre le tribunal du caractère d’urgence de ma démarche. Les statuts ne sont pas annulés à cette date. 4) Dans la foulée, le tribunal me demande si je souhaite poursuivre au fond ou si j’abandonne ma requête. Je décide de poursuivre, et je redépose en gros la même requête en annulation, adaptée pour le fond. 5) Juillet 2022 : dépôt par l’université d’un mémoire en défense. 6) Fin avril 2023 : audience, affaire mise en délibéré. 7) Mi-mai 2023 : rendu de la décision. Il pourrait y avoir d’autres étapes par la suite si on passe à l’étape 8) Avant le 11 juillet 2023 : l’université fait appel du jugement.

III.           L’université a-t-elle bien travaillé son mémoire en défense de juillet 2022 ? Oui et non. Oui pour me contester le droit à agir, non pour l’argumentation sur le fond, en faveur de l'usage de l’écriture inclusive dans ses documents juridiques : argumentation banale et médiocre, bâclée, je m’attendais à mieux.

IV.           Mais justement, le but de la manœuvre était, là comme souvent, de ne pas débattre sur le fond, mais de créer les conditions d’une absence de débat. Jean-François Braunstein parle dans son dernier ouvrage de « religion woke ». À la lecture du mémoire en défense de juillet 2022 on voit bien que c’est cela qui m’était opposé, par delà la formulation purement juridique de l’argumentation sur le droit à agir : un parti pris religieux. On ne débat pas avec les infidèles : ils ont tort, mais on le les convaincra pas, donc ça ne sert à rien de discuter. En plus, à trop discuter on risquerait d'être bousculé dans ses convictions, rongé par le doute, sali même par la perversité de l’adversaire. La « concertation » avec les personnels qui a eu lieu au moment de la rédaction des statuts, au printemps 2020, s’était également passée dans le même esprit, sur ce point précis qu'était l’usage du point médian. « Moi : — On est obligé d’utiliser l’écriture inclusive ? Rédactrice : — Oui, ça vient d’en haut. » Fin de discussion. Avec le jugement qui vient d’être prononcé, le haut a récolté ce qu’il a semé.

V.             À l’intention des gens qui pensent que je suis de droite, j’extrais ce paragraphe de ma requête  : « Pour ce qui me concerne, j’adhère bien évidemment totalement à l’égalité entre les hommes et les femmes. Je suis fier d’avoir promu concrètement cet idéal en travaillant pendant presque toute une carrière dans le domaine des lettres et sciences humaines de l’Université, très féminisé et qui, quoiqu’en disent les sociologues bourdieusiens, permet à beaucoup de jeunes femmes issues de milieux modestes d’avoir accès à une promotion sociale réelle, particulièrement à travers les métiers de l’enseignement et de la communication. Ceci dans un contexte qui dans l’ensemble des pays comparables au nôtre voit les femmes rattraper et très souvent dépasser les hommes sur le plan éducatif. Mais comme ma collègue Danièle Manesse, même sans avoir son autorité, je suis absolument rétif à l’écriture inclusive, que je considère comme un parasite de la langue. »

VI.         À l’intention des gens qui pensent que je suis de gauche, j’extrais ce paragraphe de ma requête : « J’ai pris conscience du fait que mes droits étaient menacés en écoutant les arguments développés au Canada par le professeur Jordan Peterson à l’encontre de la loi fédérale canadienne référencée sous l’appellation C16. Jordan Peterson, professeur de psychologie très connu des personnes intéressées par l’actualité des campus des pays anglophones, fait face à pire que moi : non pas une pratique sournoise inique, mais une loi inique. Il est en effet obligé par la loi d’utiliser en s’adressant à ses étudiants dits « non binaires » les modes d’adresse et les pronoms nouveaux, ni masculins ni féminins, que ces étudiants veulent voir utilisés. Je ne rentre pas dans les détails propres à la langue anglaise, car il me semble plus efficace devant le Tribunal de signaler que le phénomène des pronoms non binaires atteint également la francophonie : on peut voir dans certains textes militants des formes telles que « iels », « toustes » et « ceulles », imaginées pour compléter respectivement « ils / elles », « tous / toutes » et « ceux / celles ». Face à l’obligation qui lui est faite d’utiliser ces nouveaux mots, l’analyse de Jordan Peterson est la suivante : la loi canadienne, en prétendant imposer l’usage de ces pronoms sous peine de poursuites pour discrimination, porte atteinte au principe fondamental de la liberté d’expression, et donc à sa propre liberté d’expression. Il s’agit d’une atteinte un peu particulière à la liberté d’expression, l’obligation faite à l’individu qu’il est de tenir un « discours obligé » (compelled speech) au lieu de l’obligation de ne pas tenir certains « discours interdits » (forbidden speech), mais cette particularité ne la rend pas plus acceptable. » Citer Jordan Peterson n’est... pas exactement « de gauche ». Pour faire valoir le même argument j’aurais pu citer Roland Barthes plutôt, qui déclarait en 1977 que « le fascisme n’est pas d’empêcher de dire mais d’obliger à dire » ; mais ce n’est pas ce que j’ai choisi : le mot « fascisme » est un « mot compte triple », qui rapporte des points Godwin mais pas de victoire juridique.

VII.        J’ai été spontanément soutenu dans ma démarche, quand j’en ai parlé dans les bureaux et couloirs du service, par les hommes et surtout les femmes « invisibles » qui font marcher l’université. Profil type : catégorie C, gestionnaire de scolarité payée à coups de lance-pierres, qui n’ouvrira jamais sa bouche en public pour se mêler des querelles d'universitaires. Les collègues bien ancrés dans la gauche officielle syndiquée ont tordu le nez. Cette gauche serait-elle du mauvais côté de la lutte des classes ?

VIII.      À ma connaissance deux propositions de lois visant à interdire l’écriture inclusive purement et simplement ont été publiées sur le site de l’Assemblée Nationale. Une portée par le groupe Rassemblement National, l’autre par le groupe Renaissance. Elles se ressemblent beaucoup, et sont toutes deux stupéfiantes de bêtise tellement elles sont simplistes. Je résume : « Article unique : L’usage de l’écriture inclusive est interdit sur le territoire français. » Plus contraire au principe de liberté d’expression garanti par la Constitution tu meurs. Deux projets yakafokons promis à l’échec : autant n’en avoir aucun. Pour déposer un projet de loi recevable, il va falloir travailler le dossier, entrer dans le marécage des détails et de la complexité, définir l’écriture inclusive, interdire l’utilisation de certains procédés qui la caractérisent dans certaines circonstances seulement, pour certains types de documents seulement. Rédiger une loi convenable, et la faire voter : cela va prendre... un certain temps. En attendant, le recours au tribunal administratif pour contrer l’entrisme de la communauté wokistanaise dans les rouages des institutions républicaines reste une démarche dont on peut attendre des résultats satisfaisants.

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